Nucléaire

Le nucléaire, danger pour la démocratie ?

Juin 2021

Dans le cadre de son projet de lutte contre le réchauffement climatique, l’Union européenne s’interroge sur le fait de savoir si le nucléaire peut être considéré comme une « énergie verte ». Jan Haverkamp, expert en nucléaire et politique énergétique, se base sur 26 critères de soutenabilité pour y répondre par la négative. Parmi ses arguments, ceux qui lient l’emploi de l’énergie nucléaire par un État à un affaiblissement de la démocratie et du pouvoir de la société civile posent particulièrement question.

Afin de remplir les objectifs de son pacte vert pour l’Europe et d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, l’Union européenne élabore sa « taxonomie verte ». Le but de cette démarche est de définir quels secteurs de l’économie peuvent être considérés comme favorisant la transition écologique. L’enjeu est également financier, puisqu’il est possible que de futures aides européennes ne soient réservées qu’à des activités considérées comme « vertes ». Parmi les questions débattues dans ce cadre se trouve celle du nucléaire : est-il possible de considérer le nucléaire comme une énergie durable ?

Jan Haverkamp, expert en nucléaire et politique énergétique travaillant pour Greenpeace, apporte sa voix au débat dans une étude publiée par WISE, une organisation néerlandaise militant pour la disparition de l’énergie atomique. Se basant sur 26 critères de soutenabilité allant des taux d’émission de CO2 aux risques d’accidents écologiques, en passant par la production de déchets ou la transparence du processus de production, il conclut en affirmant que le nucléaire n’est définitivement pas une énergie propre et qu’il faudrait lui préférer des énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire.

Au-delà de la seule question climatique, son étude soulève également des problèmes rarement évoqués lorsque le sujet du nucléaire est abordé, notamment les conséquences de son utilisation pour la démocratie et le droit de regard du citoyen sur les affaires de l’État. Haverkamp rappelle l’idée développée par l’écrivain autrichien Robert Jungk dans son livre Der Atomstaat (1977) : le nucléaire nécessite un pouvoir politique fort et centralisé, voire policier dans les cas les plus extrêmes, pour gérer les risques importants liés à son utilisation (risques de vols de matériel radioactif, d’attentats, d’espionnage, etc.).

De manière plus ou moins marquée selon les pays, les employés de ce secteur ou les figures d’opposition à cette énergie sont surveillés par les forces de sécurité (notamment en Bulgarie, Russie et au Belarus). Ce processus est particulièrement intense dans les pays qui emploient le nucléaire pour un usage militaire. Ainsi de la France et de l’affaire du Rainbow Warrior : un navire de Greenpeace a été saboté en 1985 en Nouvelle-Zélande par les services secrets nationaux parce qu’il comptait protester contre et gêner les essais nucléaires français dans l’atoll de Moruroa. L’opération a fait un mort, Fernando Pereira, photographe et militant pour Greenpeace.

Aujourd’hui encore, les citoyens et membres de la société civile sont globalement tenus à l’écart des discussions entourant l’énergie atomique. Dans de nombreux cas les informations sont classées confidentielles (Slovaquie, Roumanie, Belgique), les citoyens et associations sont bannis des comités de conseil (République tchèque, Slovaquie), les comités de conseil civils sont ignorés (Grande-Bretagne, République Tchèque) ou la force des lobbys est trop importante (Allemagne, Belgique, Corée du Sud, Taiwan).

Les délibérations entourant la gestion des déchets radioactifs en Allemagne sont sur ce point éclairantes. Alors que le pays se prépare à sortir du nucléaire fin 2022, la question de savoir ce que l’on va faire des restes fait débat. Dans un désir de démocratie, Berlin a décidé de créer une discussion publique autour de cette question normalement réservée aux techniciens. Mais dès le départ le débat est biaisé, car la BGE (la société fédérale publique de gestion des déchets) a déjà choisi la méthode de l’enfouissement dans le sol des déchets comme manière de s’en débarrasser, alors que cette méthode ne fait consensus ni dans le monde scientifique ni dans le monde civil. Ainsi, même lorsqu’un pays a le désir de manifester plus de transparence sur ces questions, le citoyen se retrouve de facto privé d’une large part de son pouvoir de décision.

Jan Hamerkanp conclut que le nucléaire ne devrait pas recevoir le label « énergie verte », et qu’il faudrait que l’Union européenne encourage plutôt les énergies renouvelables, plus décentralisées au niveau politique et plus facilement contrôlables démocratiquement.